De la main à la main : une exposition et un ouvrage sur les luthiers

De la main à la main : une exposition et un ouvrage sur les luthiers

« On démarre de rien, de l’observation (…) ce n’est pas une information verbale. Dans la pratique, c’est vraiment l’observation. Et à force de voir le mouvement se faire, on le fait soi-même »

Je reprends le très bon article de Véronique Ginouvés sur un ouvrage paru chez Actes Sud en Février 2013.

de la main à la main - lutherie

Les modes de transmission sont multiples mais si le luthier peut aujourd’hui consulter en ligne une multitude d’ouvrages sur divers aspects de sa profession, visionner des films sur Youtube ou écouter des témoignagesd’anciens professionnels, il semble établi que l’efficacité du geste ne peut se transmettre que de la main à la main. Ainsi Dominique Nicosia1 au cours d’un récit léger, précis et documenté, reprend les différentes phases d’une fabrication d’un instrument et raconte : « Amener l’apprenti à ressentir cette tenue fine de l’outil est de l’ordre de l’indicible. Prenant le rabot de ses mains, le maître lui montre, sans prononcer un mot, comme pour mieux lui dire « Regarde comme le copeau s’enroule, tu entends ce beau sifflement de la lame… » (p. 176).  L’image se retrouve dans l’article de Baptiste Buob au cours d’un entretien avec un ancien luthier de Mirecourt (p.140) anonymisé sous les deux majuscules JP : « (…) On démarre de rien, de l’observation (…) ce n’est pas une information verbale. Dans la pratique, c’est vraiment l’observation. Et à force de voir le mouvement se faire, on le fait soi-même ». Cette observation est elle-même un véritable apprentissage et lorsque René Morel (1932-2011) relate ses quelques années passées chezAmédée Dieudonné (p. 144), lui qui n’est plus un apprenti sait déjà voir au-delà du geste : « Qu’est-ce qu’il m’a appris Amédée ? Moi j’observais et je voyais comment (les luthiers) tenaient leurs outils. Je n’avais pas besoin d’apprendre, je pouvais faire exactement la même chose. Sans me concentrer (…) et puis ça aller tout seul ».

Voilà comment s’éclaire le titre de cet ouvrage, en écho à une exposition temporaire du Musée de lutherie et de l’archèterie françaises à Mirecourt, qui rappelle ce mode très particulier de transmission avec en creux, l’image d’un apprentissage secret lié à l’expression homonyme ou encore du passage intentionnel d’un objet.

Les auteurs, issus de parcours multiples, ouvrent aux curieux des fenêtres multiples sur ce métier,  dessinées par des historiens, des ethnologues, des conservateurs, des musiciens et des luthiers. Certains s’appuient sur des archives qu’il s’agisse des instruments eux mêmes, de photographies, de dessins, d’enregistrements ou de correspondances, d’autres sur la pratique elle-même. Ainsi l’ouvrage, richement illustré, se découpe entre « Artefacts » et « Arts de faire ». Parmi toutes les images que l’on retient au fil du texte, il y a celle d’un réseau professionnel international de luthiers, où filiations et alliances, qu’elles soient artistiques, économiques ou familiales se tricotent serrées. Un réseau complexe où les valeurs de solidarité et d’attachement au métier sont fortes, appuyées par l’objectif de transmettre des méthodes, des formes, des esthétiques… de faire durer la musique dont les pratiques qui évoluent au cours des siècles avec des conséquences parfois inéluctables sur le métier.

La publication de cet ouvrage est l’occasion de rappeler le travail réalisé parHélène Claudot-Hawad qui a enregistré au début des années 1980 une série d’entretiens avec des luthiers mirecurtiens2. Elle a déposé ses archives sonores à la phonothèque de la MMSH qui les a numérisées et analysées. Pour un accès à un plus large public elle a éditorialisé les notices documentaire en choisissant des extraits sonores et des photographies pour les illustrer. Ce dépôt a été l’occasion d’un travail mutuel fructueux dont le Musée de Mirecourt bénéficiera puisqu’une copie des fichiers son et un catalogue documentaire qui les contextualise y seront bientôt accessibles. A la lecture des brefs extraits d’entretiens de l’article de Baptiste Buob ou du chapitre consacré à la dynastie des Bazin, on aimerait pouvoir faire parler les archives entre elles, croiser les voix des luthiers et redonner la parole autrement que par le livre à tous ces hommes détenteurs d’un savoir séculaire. Les Carnets de la phonothèque et le blog de Baptiste Buob surCulture visuelle leur donne la parole. Ils parlent avec simplicité et précision – faisant fi des idées reçues – de leur regard sur la technique et ses évolutions, des processus d’observation, de leurs réseaux professionnels ou de leur rêves… des bribes de vie qui nous intéressent bien au-delà de la fabrication instrumentale.

Luthiers. De la main à la main, sous la direction de Valérie Klein et Baptiste Buob. Musée de la lutherie et de l’archèterie françaises, Actes Sud, 2012. 187p.

page originale : http://phonotheque.hypotheses.org/?lang=de_DE

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