Conversation 1 – Le temps d'une coupe

Conversation 1 – Le temps d'une coupe

Le geste précis devient une obsession chez moi. Je le cherche dans  chaque conversation, dans chaque métier que je rencontre. L’écho me ravit. Ça me pousse à aller plus loin. Passer enfin aux « conversations », cette série d’interview que j’ai préparée il y a quelques mois…et laissé reposer.

La coupe Ana bis est plus qu'un coup de ciseaux, c'est un coup de génie !
La coupe Ana bis est plus qu’un coup de ciseaux, c’est un coup de génie !

Alors, tout doucement, aujourd’hui, j’ai questionné  le  coiffeur.
Il y a des gens qu’on devine réceptifs.  Prêt à être surpris. Enclin à parler de leur métier sans toutefois parler d’eux. Ce fut le cas pour Laurent. Cinquantaine argentée et barbue, profil de l’individu qu’on s’attend à croiser dans une émission de Christina Cordula. L’air du coiffeur professionnel aux yeux bleus un peu trop perçant pour ne pas vous mettre mal à l’aise. Le tout dans un salon de coiffure épuré, chic, sans crier au vol en sortant.

Samedi matin donc, enfants au parc avec papa, et 1h devant moi pour retrouver une coupe acceptable après des mois d’abandon.

Arrivée au shampoing j’ai commencée par lui demander si il avait appris ses gestes techniques avec quelqu’un de particulier. Interloqué il m’a répondu qu’il avait été « formé » dans différents salons.
Blanc. Shampoing, je me suis trompée. Mais je  l’avais perturbé ; je lui ai alors expliqué le principe du blog. Une documentation sur le geste précis. « Le beau Geste » ? Va pour le beau geste, c’est souvent ainsi que mes interlocuteurs reformulent. Beau geste = geste technique = geste précis.

Laurent donc, a commencé à l’age de 14 ans, à la fin des années 80. Avant que la maladie n’emporte les « maitres » me dit-il .  Il est ému.  Et moi je réalise que ma coupe de cheveux va etre beaucoup plus longue que prévu… je m’enfonce dans le fauteuil massant et je relance…

Le geste du coiffeur s’apparente selon lui au geste du tennisman. « Répéter 6000 fois le  même geste pour le maitriser. Il y a des personnes qui n’y arrive jamais..ou qui ne connaissent qu’un seul geste. celui du brushing, de la coupe ou du chignon.
Certains coiffeurs sauront réaliser techniquement des coupes.  Qui n’auront pas de cachet.
D’autres sublimeront les coiffures. Ceux-là ont maitrisé la technique pour la transcender. Il se sont libérés du geste et peuvent devenir créatifs.

« Vous voyez le bruit que fait le fer quand il tape une balle de golf ? Et bien en coiffure je ressens la même chose parfois. Le bruit parfait, la sensation d’excellence qui vient avec le geste parfait. Là  je suis content. »

« Aujourd’hui techniquement il n’y plus rien à inventer. Tout ce qui concerne  le cheveu a été découvert. On peut perfectionner les couleurs et les coiffures, sans doute. Vous avez vu ces teintures roses dans le quartier?  Peut-être aussi les outils, mais pas les coupes. L’Age d’or de la coiffure est passé ». Selon lui aujourd’hui seul SASSOON a encore le talent créatif du prêt-à-couper.

Bruno Pittini
Bruno Pittini

Quand je le ré-interroge sur la transmission du geste par un maitre, il se trouble de nouveau. Il me parle de Bruno* « Le vrai bonheur fut de découvrir avec lui.  Vous vous souvenez de l’icône Dessange des années 80, cette blonde vaporeuse (et bingo je l’avais en tête), et bien cette coupe parfaite, la technique de réalisation c’est perdue avec lui. Parfois j’imagine ce qu’aurais été ma vie professionnelle si au lieu de le côtoyer si peu de temps, j’avais eu la chance d’apprendre auprès de lui. Perdre un maitre, un homme qu’on admire c’est dramatique ».

Laurent, lui,  ne croit pas qu’il puisse ^^etre un de ces passeurs, un être inspirant comme il a été inspiré. J’en doute ….mais taisons nous on est à mi-coupe.

Il continue !
« Après..j’ai appris a être conforme au luxe, au grand luxe, les salons Carita, puis le cinéma. La coupe qui crée le personnage, ça c’est un métier exaltant ! comme les défilés, structurer une coiffure pour épouser le vêtement c’est formidable »

Sur l’état second lié à la répétition du geste, j’évoque le fait que le matériau soit du vivant. Et du vivant bavard. Apparemment ce n’est pas un problème pour lui, car la coupe et son volume sont  visualisé en  amont du travail°. Le bavardage est un plus.
°Vous savez ce moment où vous tentez d’expliquer ce que vous voulez et que vous sentez bien que le coiffeur ne vous comprends pas ! Juste avant le shampoing (de nouveau voir l’excellent extrait de Vanity Fair en fin de ce post).
« Et quand le salon est bondé, on se protège. Dans le métier on appelle ça l’expertise technique immédiate. Quand le client arrive on sait exactement ce qu’on doit faire, c’est une sorte de pilote automatique »

« Le geste technique c’est le garde-fou ultime, celui qui permet d’être créatif et se laisser porter au long de la coupe »

coiffure et geste précisPuis on discute des robots, du futur de l’homme. Il est n’est pas joyeux quand il en parle. Mais quand même… il a une idée bien à lui.  Développer un logiciel de 3D qui permettrait aux apprentis de s’entrainer sur des modèles virtuels en reproduisant les textures. Grand enthousiasme. Il fait des gestes dans le miroir pour me montrer ce qu’il a en tête. Une  sorte d’hologramme de coupe ? Oui. Qui utiliserait aussi le volume du haut du crâne, ce que nous coiffeur nous voyons. On pourrait en fonction de la taille du coiffeur, de la taille du client et de sa nature de cheveux se positionner parfaitement. Vous savez, pour ne pas me vouter, je fais du rameur, de la piscine, il faut se tenir droit, je sais exactement ou je dois me placer pour être à l’aise. Si je suis dans la contrainte de mon corps, je ne ferais rien de bon. Moi j’aime mon métier. Quand on fait quelque chose que l’on n’aime pas, on le fait mal. Moi c’est l’inverse.

Et effectivement, ma coupe est tout à fait réussie, je suis sortie plus jeune. Merci Laurent.

Belle initiative que je découvre à cette occasion : http://www.coiffeurscontrelesida.fr/

* Recherche faite il s’agit de Bruno PIttini, le coiffeur star des années 80. L’inventeur d’une technique décrite ici :  Durif explained that the roots of his philosophy come from working with the late famed hairstylist Bruno Pittini. “You don’t hear much about it, but every single French hairdresser in the city—Frédéric Fekkai, A.K.S., Serge Normandt, and Julien Farel, later on—all the big shots worked for Bruno,” said Durif, his French accent punctuating his point. “In 1984, the salon was called Bruno Dessange. That was a branch of the main business, which was Jacques Dessange. Everyone comes from that. We were 11 stylists working in the same salon. The top guy, Bruno, had this amazing technique to cut hair. He could never put a name on it, although the result was always the same. When I say the same, I’m talking about volume. The volume was working. The result, in the end, is that everyone would always have an oval cut—always.”

“Let’s say that someone has a very round face,” Durif continues, grabbing dry-erase markers from a nearby countertop. He starts drawing shapes on one of the mirrors in front of a cutting station. “I know for sure that I’m going to need to add volume on top. Or you see people with those long, rectangular faces. They always ask for volume; the hairdresser listens and puts volume on top. I say to them, Look, if your face is more of a rectangle—longer than wider—if I put more on top of something, it’s going to make it longer. So I say, You do need volume, you just don’t know where. You need it here. Boom! Oval. You go on and on like that. Some people have triangular shape this way. You know that you need a little volume on top, and a little on the side. If you have an inverse triangle, then you need absolutely no volume on the side.

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