Drouot, théatre de gestes

Drouot, théatre de gestes

illustr_encheres_3Un des spectacles qui me ravit le plus au monde est celui d’une vente aux enchères. C’est à mon gout un véritable ballet, où les protagonistes : commissaires-priseurs, clerc d’étude, crieur et experts ont des rôles différents et clairement établis. Sans oublier le public : du moribond affalé sur sa chaise qui vient tout à coup de se sentir vibrer en levant discrètement la main , aux habitués des lieux qui se retrouvent dans leur veste de velours autour des manettes.
C’est simple, Drouot est une addiction et comme j’habite à deux pas je ne m’en soigne pas. Avec ou sans catalogue, j’aime que le commissaire-priseur soit cocasse et incite les vocations à l’achat. Entendu sur des objets qui ne partaient décidément pas
« Je n’aurais jamais dû laisser ma fille de 11 ans vendre ses œuvres » «  allez mesdames et messieurs, 6 euros ce n’est même pas le prix du dessert, qui a pris un dessert à midi ? » « Adjugé à la dame à l’écharpe rose qui a eu un sursaut »

J’aime les visages souvent truculent, la mode ancienne des ces mamies inspectrices de bijoux, la gamme de pantalon pastels qu’on trouve debout les bras croisés,  les attitudes anxieuses ‘ne pas bouger » de ceux dont c’est la première fois. J’y suis les signes de mains, les sourires entendus, les répliques de boulevard. Je me promets à chaque fois de tout répertorier … puis le spectacle me vole. J’aime Barbara qui chante dans ma tête lorsque je sors le plus souvent les mains vides (heureusement crie mon porte-monnaie).

A Drouot plus qu’ailleurs le spectacle est vivace.

Les sociologues se sont intéressés à la salle des ventes, si vous voulez aller plus loin , je  vous invite à lire dans son intégralité l’article Enchères et émotions
par Rolande Bonnain-Dulon (rechargeable également) et l’article de Adriane Grünberg

À onze heures du matin le jour prévu, une foule d’habitués attend en bavardant l’ouverture de Drouot. Ceux qui s’intéressent aux ventes ordinaires prennent l’escalier mécanique en direction du sous-sol où elles ont généralement lieu. Dans les salles du bas, la présentation des biens à vendre est sans ordre apparent, les meubles de style s’alignent le long des murs sous des tapis usés jusqu’à la corde. Les lots sont fréquents, preuve qu’il n’y a pas ici d’objet rare. Et pourtant…

A  l’heure annoncée, le commissaire-priseur, qui dispose désormais d’un micro, déclare : « On commence la vente aux conditions habituelles » et parfois « La vente a lieu sans garantie, les objets sont vendus dans l’état où ils se trouvent ». Suit une séquence bien réglée qui se répétera tout au long de la séance. Le clerc principal annonce le numéro du lot, parfois posé sur une sellette par un col-rouge et apporté par un autre commissionnaire qui le présente au public. Le commissaire-priseur se tourne vers son clerc tout en consultant une liste et lance un prix de départ, équivalant généralement à la moitié de la valeur estimée du marché. Il relève ensuite les signes de ceux qui veulent enchérir : les premiers chiffres sont souvent donnés oralement, les autres par un simple signe de tête ; à la dernière enchère et après s’être assuré qu’aucune autre personne ne surenchérit, il donne un coup de son marteau de bois ou d’ivoire sur la table en disant « Adjugé ! ». Le crieur apporte au dernier enchérisseur le bulletin qui porte le numéro d’identification du lot qu’il échange contre de l’argent comptant ou un chèque signé que le comptable rangera dans un répertoire alphabétique. (…)

rtsabsmTous les observateurs ont remarqué que les vacations commencent invariablement par des objets de faible valeur, mais de bonne qualité afin que le public participe très vite et réalise sans tarder l’existence de cette communauté d’enchères sans laquelle il n’y a pas de vente satisfaisante. Ces préliminaires peuvent durer une demi-heure quand la vente ne présente que des lots de peu d’importance. La dispersion des manettes joue également un rôle dans la mise en condition du public : ce sont de  grandes boites de plastiquse (les paniers d’osier ont disparus) dans lesquels, en principe, on dispose des objets dépareillés et encombrants qui devraient être sans valeur réelle la plupart du temps. C’est pourtant là que les bons chineurs font les meilleures affaires. Bien que l’on ait vu ce que contenaient les manettes lors de la séance de 11 heures, leur passage est toujours l’occasion de bousculades au pied de l’estrade. Les brocanteurs quittent le fond de la salle pour s’approcher des paniers et repérer les objets « voyageurs », empêchant le public assis de voir. Ils agissent comme si la discipline et la réserve attendues des assistants ne les concernaient pas, et que cette marchandise leur était réservée. C’est l’occasion pour le commissaire-priseur de faire quelques plaisanteries et de réclamer le calme sans pour autant décourager les contrevenants.

Le commissaire-priseur est assisté par le crieur. Celui-ci est son porte-parole quand il répète le dernier chiffre prononcé, il est celui du public quand il signale de nouveaux enchérisseurs. Il va et vient entre le comptable et la salle apportant les bulletins et, plus récemment, les objets de petite taille et rapportant les chèques. Il est partout à la fois. Chargé de la réalisation matérielle des procédures requises par le changement de statut de l’objet, il fait la navette entre celui qui annonce le changement et le futur propriétaire, puis entre le comptable et le client. Sa mobilité permet que la promesse légale de vente, sanctionnée par le commissaire-priseur, soit exécutée. Par ses allées et venues, il tisse donc, de façon visible, le tissu social qui fait adhérer l’assistance aux jugements prononcés du haut de l’estrade.

Le tempo de la vente dépend beaucoup, mais pas seulement, de la rapidité avec laquelle le commissaire-priseur recueille et énonce les enchères car c’est en général lui qui dit les prix et décide de leur progression, montrant ainsi qu’il est le maître des enchères. En somme, ce tempo dépend de son degré de professionnalisme. Pour que les chiffres soient donnés de vive voix par les participants, il faut que ce soit par un habitué reconnu, un professionnel de l’Hôtel ou qu’ait lieu un duel déclaré pour l’acquisition d’un objet. Les chiffres suivent une progression variable. Évidemment, les chiffres montent d’autant plus vite qu’il y a plus d’amateurs pour le lot présenté et le commissaire-priseur peut alors sauter des paliers.

2

En général, mais cela dépend de la personnalité du maître des enchères et du type de la vente, la cadence est de 60 à 80 lots passés à l’heure. Elle est ralentie quand les enchères se prennent au téléphone, pratique qui se répand de plus en plus, même dans les ventes ordinaires, malgré les lenteurs qu’elle occasionne : il faut appeler l’amateur, répéter les annonces, attendre sa décision et son offre. Accepter ce type d’enchères est possible parce qu’il respecte l’anonymat officiel des enchérisseurs. Cet anonymat est interprété comme l’expression de la distance sociale maximale établie entre individus pour pallier les tensions générées par la concurrence. Il est aussi le corollaire de l’égalité formelle établie dans la communauté des enchères. D’ailleurs, il n’empêche pas la connivence de s’établir entre le commissaire-priseur et l’acheteur quand la personne a déjà acheté et qu’elle est solvable : « À Monsieur qui est connu, là-bas ! » La vente aux enchères est une opération économique qui a besoin des relations sociales pour être réalisée.

Les remarques émises par le commissaire-priseur contribuent à donner un style à la vente. Dans les ventes ordinaires où ne sont écoulés que des objets usuels la plupart du temps, l’ambiance est bruyante, les va-et-vient multiples, les plaisanteries nombreuses car le rire fait tomber les barrières. Le ton familier du commissaire-priseur est surtout destiné aux brocanteurs qui enlèvent la « drouille » [14][14] En argot de métier, la drouille désigne la marchandise… ; il leur donne l’impression qu’ils font des affaires et il indique aux autres membres de l’assistance que les objets écoulés ne méritent pas le respect dû aux pièces de qualité. Ces ventes sont hétéroclites mais très fréquentées car on peut y trouver des pièces des arts premiers reconnus comme tels mais que le clerc chargé de la réception n’a pas estimé à leur juste valeur : c’est le cas des « souvenirs de voyage » et des petits objets dont la rareté a empêché qu’ils soient identifiés. À ce titre, Drouot occupe une place de choix dans la « légende dorée » du collectionneur, celle qui garde le souvenir des faits heureux et soutient le passionné dans sa quête.

À côté de ces ventes à l’atmosphère bon enfant et parfois relâchée, il en existe d’autres, très différentes par leurs pratiques et leur public et qui sont très attendues par l’ensemble des amateurs d’arts premiers : ce sont les ventes avec catalogue. »

Je conseille aussi cet article très juste et qui restitue bien l’ambiance  de Marcel et Simone
DROUOT ou « ADJUGÉ au monsieur près de la porte avec son beau chapeau vert ! »par Adriane Grünberg 23 Mars 2014

Au 9 rue Drouot, métro Richelieu-Drouot (lignes 8 et 9), du lundi au samedi, de 11h à18h.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *