Du geste au savoir-faire chez le musicien instrumentiste

Du geste au savoir-faire chez le musicien instrumentiste

Un très bel article d’Isabelle Loiseleux trouve toute sa place sur ce site dédié au Geste Précis, vous invite à le lire en suivant le lien suivante vers l’article original (existe aussi en anglais)

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Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de ParisLe premier instrument du musicien est son corps. C’est par celui-ci que passent les intentions, les émotions qui font de celui-là un interprète.

Car avant même d’être en mesure d’interpréter, l’apprentissage du geste musical est primordial. Ce geste c’est bien sûr d’abord l’ensemble des techniques propres à chaque instrument, à la formation des sons, leur justesse, leur qualité.

Mais c’est aussi l’intégration du lien corps/mental/son grâce à la juste conscience corporelle. C’est ce lien qui permet ce passage du geste au savoir-faire, de la contrainte à la liberté d’expression.

Pourtant on demandera à l’apprenti musicien, dès qu’il aura son instrument dans les mains, de savoir se tenir droit sans tensions, de savoir bouger certaines parties de son corps sans en contracter d’autres, de savoir respirer, de se sentir stable, de gérer ses émotions, son mental…

Autant de savoir-faire que devra impérativement construire puis maîtriser le musicien s’il veut pouvoir interpréter dans l’excellence… et durer !

Cependant, tout ce savoir-faire est censé – sans éducation corporelle adaptée – apparaître à mesure de l’apprentissage de la technique instrumentale pure. Le problème est que souvent, rien – ou trop peu – n’apparaît, contraignant le musicien à gérer comme il le peut ses douleurs, ses difficultés techniques, sa mauvaise respiration, son trac… éloignant le plaisir du jeu, voire même contraignant à l’abandon.

Plus tard, quel impact ce manque d’éducation corporelle aura-t-il sur la technicité du musicien professionnel, sa santé, la qualité du son qu’il produira et sa capacité à interpréter ?
Enfin quel impact cela aura-t-il dans l’enseignement et la transmission du geste artistique, où le rapport au corps n’est pas considéré comme un préambule nécessaire, explicité, travaillé en amont sans l’instrument puis avec, et organisé à mesure de l’évolution du musicien ?
Dans la chaîne pensée (intention musicale)/geste/exécution, pourquoi ce geste est-il trop souvent vu comme une donnée purement technique réservée à l’instrument et non comme la continuité d’une conscience corporelle générale ?

Quelles solutions pourrions-nous envisager ? Autant de questions que cet article développe afin d’ouvrir la réflexion et susciter le débat.

Isabelle Loiseleux, «Du geste au savoir-faire – La place de la conscience du corps dans l’apprentissage, l’exécution puis la transmission du geste du musicien instrumentiste», La Revue du Conservatoire [En ligne], La revue du Conservatoire, Le troisième numéro, Réflexions et matériels pédagogiques, mis à jour le : 23/06/2014, URL : http://larevue.conservatoiredeparis.fr/index.php?id=882

Texte intégral sur le site

EXTRAIT le plus dans le cadre de l’accord Geste et Conscience

« Mais qu’entend-on finalement par « conscience du corps » ?

C’est la proprioception ou conscience de soi.  Les sensations proprioceptives sont regroupées en trois catégories selon leur origine dans l’organisme. Il y a le sens kinesthésique pour la sensation du mouvement, passif ou actif, de la résistance au mouvement, de la pression du poids et de la position des différentes parties du corps, dans tout le squelette, les muscles, les ligaments, les articulations, les tendons, le cartilage et d’autres tissus de la structure porteuse. Il y a la sensibilité vestibulaire pour la sensation de la position dans l’espace provenant de l’oreille interne. Enfin il y a la sensibilité viscérale pour les impressions diverses issues des différents organes internes comme ceux de la digestion et de l’excrétion.

Des millions de capteurs répartis dans notre corps nous renseignent sur le monde extérieur (exocapteurs) mais aussi sur notre monde intérieur (endocapteurs). Les renseignements enregistrés par le cerveau sous forme de signaux électriques lui permettent de donner les ordres nécessaires à une meilleure adaptation possible aux différents besoins. La position dans l’espace, le placement de tel ou tel segment corporel par rapport aux autres, mais aussi par rapport à l’instrument, la tension ou la détente, l’état des articulations, les informations internes (chaud, froid, pression, respiration, etc.), tout cela est la proprioception4. C’est donc elle qui informe le cerveau dans la construction du geste, de la posture. Une faible ou une mauvaise qualité de cette proprioception générera une faible ou une mauvaise qualité de l’information, un mauvais geste, une mauvaise posture.

Avoir conscience de son propre corps dans l’axe détendu permettra, lorsque l’on « ajoutera » l’instrument, de mieux comprendre comment le rester afin de ne pas créer de tensions inutiles. Comprendre ce que signifie avoir les épaules basses et les bras détendusavant que ne vienne l’instrument afin de les conserver après. Sentir ce qu’est et comment marche la respiration avant de pouvoir l’utiliser à produire des sons.

C’est en cela que je me demande si l’on ne forme pas les musiciens « à l’envers », en leur demandant de réaliser après ce qu’ils devraient savoir avant. Car il est beaucoup plus difficile de comprendre et d’équilibrer son corps avec son instrument que sans.

Et faute d’aide, le musicien va persister dans cette erreur, porte ouverte aux douleurs, antichambre de pathologies plus ou moins graves comme les tendinites, kystes, syndrome du canal carpien et autres hernies cervicales.

La proprioception au service de la liberté musculaire

Des sensations proprioceptives développées vont donc permettre d’établir une posture « juste ». Cette question est avant tout celle de la liberté musculaire et non celle d’instaurer une posture préétablie et identique pour tous. Liberté musculaire signifie liberté des muscles de mouvement, ceux dont on se sert pour jouer, et utilisation des muscles de maintien pour tenir sa posture sans fatigue. Une posture mal comprise est celle qui utilise les muscles de mouvement pour la tenir, au détriment de la liberté de jeu et de l’aisance technique.

L’important est d’avoir conscience de l’utilisation de la totalité de son propre corps dans le jeu, pas seulement conscience des actionneurs (mains, bouche, pieds, etc.).

Dans cette optique, finalement pourquoi ne pas jouer « tordu » si l’on produit quelque chose de très beau ? C’est tout à fait possible, à la condition d’en avoir conscience, de jouer avec tout son corps et de faire fonctionner les actionneurs avec le moins de fatigue possible afin de ne pas engendrer de pathologie à long terme.

Ceci demande encore une fois d’avoir conscience de la totalité de son corps et de sentir le lien entre toutes les différentes parties, comme lorsqu’on joue un accord de musique en entendant bien toutes les notes ensemble, sans les dissocier ou en n’en entendant sonner que certaines.

Une bonne conscience du corps permet au musicien de « s’accorder » lui-même, comme il sait accorder son instrument.

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