TSONGA " je visualisais mon geste, je m'efforçais de le faire exactement comme je voulais qu'il soit. "

TSONGA " je visualisais mon geste, je m'efforçais de le faire exactement comme je voulais qu'il soit. "

Vous pouvez lire içi un article de l’Equipe que j’ai particulièrement apprécié* : Jo-Wilfried Tsonga, 29 ans, 12e au classement du tennis mondial,  raconte son « enfance de rêve », son envie de « reconnaissance » à ses débuts, sa « double culture ».
  • Tsonga : «J'avais envie de tout casser»

Ce jour-là, il arrivait de Nancy où la France s’était qualifiée difficilement la veille (3-2 contre l’Allemagne) pour les demi-finales de la Coupe Davis. Rendez-vous au CNE, le Centre national d’entraînement, point de repère et de ralliement de la majorité des joueurs français en transit. Est-ce le week-end qui avait été dur ? La nuit qui avait été courte ? Quand Jo-Wilfried est arrivé (ponctuel), il semblait heureux de saluer tout le petit monde de « Roland » (Garros), mais tout de même bien « fracassé ». Il aurait volontiers pris une bonne douche réparatrice avant de repartir pour Monte-Carlo, mais nous l’attendions dans une des chambres qu’il avait autrefois occupée au premier étage du bâtiment (2002-2004), après deux ans passés au pôle de Poitiers (1998-2000), et deux ans à l’INSEP (2000-2002), soit la voie royale en termes de filière fédérale, à un détail près : le futur champion a commencé une terminale et…ne s’est pas présenté au bac ! Jo-Wilfried Tsonga, qui vient d’avoir 29 ans (le 17 avril), 1,88 m, 91 kg, a pris place sur un des petits lits qu’il occupait à l’époque. « Ils sont beaucoup plus confortables aujourd’hui », a-t-il dit en tâtant un épais matelas. Puis c’est avec beaucoup d’intérêt pour le thème central de notre numéro consacré à la jeunesse qu’il nous a raconté l’adolescent qu’il était.

«Quel est le premier souvenir qui vous revient de votre enfance ?

J’adorais l’aventure ! J’habitais à la campagne, dans la banlieue du Mans (à Savigné-l’Évêque, 2 000 habitants à l’époque), et avec les copains, les voisins, on était des aventuriers. Tout le temps dehors, tout le temps un couteau dans la poche pour tailler des flèches. Avec mon copain Mathieu – que je vois toujours – on enfourchait nos vélos, on parcourait vingt kilomètres pour rejoindre une rivière où on allait pêcher. On dormait sous la tente…Et au Tennis Club de Coulaines (à la périphérie du Mans), le club de vos débuts, c’était comment ?J’aimais bien les cours collectifs, quand il y avait plein de monde… Bon, j’avoue, il y avait Mélanie, et Mélanie, je l’aimais beaucoup (sourire). Elle était beaucoup plus âgée que moi, au moins trois ans de plus, ça compte beaucoup à cet âge-là. Elle était beaucoup plus forte que moi, mais elle avait la gentillesse de s’entraîner avec moi. Mon prof, Franck Lefay, nous programmait plein d’exercices d’interactivité, de coordination avec des cerceaux, c’était fait dans un esprit « sport co », et ça me plaisait. Je rigolais vraiment beaucoup.Vous jouiez au mur ?Oui, j’y ai passé des heures. C’était important car je ne me contentais pas de frapper la balle et d’attendre qu’elle revienne ; je visualisais mon geste, je m’efforçais de le faire exactement comme je voulais qu’il soit. Je me projetais. Tu vois les pros à la télé, et au mur, c’est toi le pro. Tu imagines qu’il y a plein de gens autour alors que tu es tout seul, évidemment. Tout petit, déjà, j’exécutais des coups à blanc devant la glace, pour qu’ils soient beaux. J’ai toujours accordé énormément d’importance à l’esthétisme dans mon tennis. Peut-être pour être admiré (sourire).Racontez-nous le jour où vous êtes parti pour le pôle France de Poitiers, à 200 kilomètres de chez vous, vos premiers pas sur le chemin du professionnalisme…C’est en septembre 1998, pour le début de l’année scolaire au lycée tennis-études de Poitiers. Je suis très excité… jusqu’au moment où je pars vraiment ! Je le prends comme une nouvelle aventure, et comme je suis un aventurier, je suis hyper content. J’aimais découvrir les choses. Mais le jour où je pars en train, pour la première fois tout seul, c’est terrible ! J’avais 13 ans et demi, mes parents et moi étions en larmes, et en plus j’avais un changement à Saint-Pierre-des-Corps, dans la banlieue de Tours, où il fallait prendre une navette. J’arrive à Saint-Pierre et là, je panique, je suis incapable de lire les panneaux. C’est où ? C’est quoi ? Je suis perdu ! Et évidemment je rate ma correspondance. Je me réfugie dans un relais presse, et je demande à téléphoner. J’ai appelé mon père : « Bouge pas, j’arrive », me dit-il. Il m’a accompagné jusqu’à Poitiers.Et…Et alors, là, j’ai adoré. J’étais timide, mais on a vite formé un bon groupe, dont Gilles Simon, Josselin Ouanna, Charles-Antoine Brezac faisaient partie.

 

Vous étiez un garçon « très poli, très sage, très gentil, super bosseur », ont témoigné vos entraîneurs de l’époque.

Mais, intérieurement, qu’est-ce qui vous motivait ?Le truc qui me motivait beaucoup, c’est que, dans ce milieu-là, je n’étais pas quelqu’un de privilégié. Je ne faisais pas partie des meilleurs de ma catégorie. J’étais parmi les dix, mais pas le meilleur. J’enviais ce que les autres avaient. Ils avaient des raquettes et des vêtements gratuits, les filles les aimaient.Et vous, les filles ne vous aimaient pas ?Non, petit, non. Mais après, j’ai eu les raquettes, les vêtements et… un peu plus de succès auprès des filles.Vous n’étiez pas dans les meilleurs, mais dès la fin de votre première année au pôle Espoirs, en juillet 1999, vous devenez quand même champion de France minimes…Oui, la première année au pôle, j’avais bien progressé.De quoi vos rêves étaient-ils faits ?Je rêvais… de reconnaissance. J’avais envie d’avoir une place à moi. J’étais bien dans ma famille, j’étais gentil, je ne faisais pas trop de bruit, mais au fond de moi j’avais envie de tout casser. C’est certainement lié à mon éducation, à ma double culture. Je suis allé chercher beaucoup de choses dans ma culture africaine.C’est-à-dire ?Je voyais les contrastes, déjà. Du côté de ma mère, j’avais l’impression que tout allait bien, alors que du côté de mon père (Didier Tsonga est originaire du Congo-Brazzaville), c’était un petit peu plus difficile. Dans notre famille, il n’y avait pas de gros moyens financiers, l’éducation était assez stricte, du style : « Tu finis ton assiette, tu débarrasses la table, etc. » Mon père me disait : « Par ta différence, on ne te donnera jamais rien. Si tu veux quelque chose, il faudra toujours que tu ailles le chercher. » À l’époque, ce genre de discours père-fils étaient courants. En France, il n’y a pas de grosse fracture entre les Blancs et les Noirs comme on la connaît aux états-Unis, il y a eu des progrès de faits. Je pense qu’à l’époque, mon père ressentait cette différence de façon beaucoup plus marquée que moi.Votre esprit combatif serait une forme d’héritage de votre père ?Je pense qu’en effet mon sens de la bagarre, du combat, vient de lui. Du côté de ma mère, je garde davantage le souvenir des vacances avec mes grands-parents. Il y avait mes oncles, mes tantes, mes cousins… Tandis que du côté paternel, c’était moins évident pour le petit garçon que j’étais. Je n’avais jamais vu mes grands-parents paternels, on parlait d’un pays que je ne connaissais pas (il ne s’est rendu pour la première fois au Congo qu’en 2008), les nouvelles qui en provenaient témoignaient d’une vie difficile… Je pense que je me suis construit sur cette mixité, dans la fusion de ces deux courants. J’étais un enfant comme les autres, tout en ayant une représentation de moi en lion africain.

 

Du coup, dès que vous avez été un petit peu connu, on vous a tout de suite comparé à Yannick Noah. Que ressentiez-vous ?

C’était flatteur, parce que Yannick a été un grand champion. De plus, métissé, français, doté d’une grande personnalité. Cela ne faisait que renforcer ma fierté.Trois garçons noirs ou métis sont arrivés en même temps sur le devant de la scène : vous, Gaël Monfils et Josselin Ouanna. On vous a posé beaucoup de questions sur la couleur de votre peau ?Beaucoup, oui (sourire). Alors qu’aujourd’hui, cela paraîtrait déplacé. Honnêtement, j’ai été très gêné quand j’ai vu paraître les articles sur la « Black Generation ». Certes, nous nous étions prêtés au jeu, on avait posé fièrement avec nos petits muscles saillants (rire). C’était dans l’air du temps, c’étaient nos premiers articles. On était juste contents d’être dans Tennis Magazine ou dans L’Équipe. J’étais content de le faire, parce que ça m’amusait. Mais voir les articles après, c’est beaucoup moins drôle.C’est à travers ce genre d’expériences que vous avez trouvé votre identité ?Je suis très bien comme je suis, j’assume ce que je suis, mais ma véritable identité, je la cherche encore. Parce que c’est difficile pour nous. C’est d’ailleurs avec d’autres métis que j’en parle le mieux. Humainement, il n’y a qu’eux pour comprendre. Lorsque je vais en Afrique, je ne suis pas africain. Et quand je suis là, parfois, je ressens que je suis un peu africain.Généralement toutes les « différences » s’effacent devant la célébrité. Vous avez quand même l’impression qu’on vous regarde comme quelqu’un de « différent » ?Oui, et j’aimerais bien que ça s’efface. Parce que je suis français, né en France, que j’ai toujours baigné dans la culture française, que j’ai grandi avec ça, chantant des chansons de Johnny que je connais par coeur, en trempant des tartines de rillettes dans le chocolat chaud. Et les gens, ça les étonne : « Quoi, tu n’écoutes pas du rap ? » Si, j’écoute du rap, mais pas que ça. Les clichés ont la peau dure. On s’étonne qu’à 10 ans j’ai appris à faire du ski et que j’adore la pêche. Il y a toujours quelque chose qui nous rappelle qu’on est différent, et ce qui est marrant, c’est qu’on est différent de tout le monde.

S’il y a bien une chose qui est universelle, c’est la puberté. Est-ce que ce passage vous a affecté dans votre parcours d’athlète ?

Pas du tout. Pour moi, c’était génial ! Jeune, j’étais déjà grand, déjà costaud, toujours avec des copains plus âgés, etc. Donc, ça s’est fait simplement. Je n’ai jamais eu de complexe ni de mal-être par rapport à mon corps. Au contraire, plus je me musclais et mieux je me sentais dans mon corps. Mon père disait toujours : « Ton corps, c’est ton outil de travail. » Je ne savais pas à quoi ça correspondait concrètement, mais ça me plaisait bien comme phrase.Avez-vous affiché des posters de champions auxquels vous vous êtes identifié ?J’ai eu des posters de trois joueurs : Agassi, Sampras et Rafter. Si je m’identifiais à eux ? Certainement… En tout cas, je ne m’imaginais pas en vainqueur d’un tournoi du Grand Chelem. Moi, c’était plutôt en termes de technique, d’attitude, que je m’identifiais aux champions. À 12-13 ans, je n’étais pas dans la gagne. J’étais dans la beauté du geste. Si je réussissais un smash sauté, j’étais heureux, je pouvais perdre tous les points derrière. La défaite me faisait mal, mais j’étais quand même pour le beau jeu. Ce n’est qu’à Poitiers que mes entraîneurs m’ont emmené de l’autre côté : « Ça ne sert à rien ton truc. L’essentiel, c’est de gagner. Tu verras, il n’y a que dans ça que tu prendras du plaisir… »Quels sont le ou les souvenirs de match de champions qui vous ont le plus marqué ?La victoire d’Andre Agassi en 1999, sur Andreï Medvedev, à Roland-Garros. Le couronnement de sa carrière. Il a pu boucler la boucle. Il avait gagné partout sauf à Paris. L’émotion qu’il a montrée, ce jour-là, ses larmes de joie ! Il avait les yeux d’un gamin à qui on vient d’offrir le GI Jo dont il avait toujours rêvé. Et puis, il y a eu ce match de Guga (Kuerten) contre Russell, toujours à Roland (en 2001). Il revient de nulle part, et puis il gagne et il dessine un coeur immense avec sa raquette sur la terre battue. Tu imagines que toutes les filles du stade ont dû avoir envie de l’embrasser. En tout cas, moi, j’étais là, j’avais 14 ans, et c’était trop beau…Vous avez grandi en même temps que Gasquet et Nadal, comment vous situiez-vous par rapport à eux ?Pour moi, Richard, c’était un extraterrestre. Nadal, non, parce qu’on ne le connaissait pas encore. Gasquet, je ne voyais pas comment on pouvait être aussi fort que lui.Peu à peu, vous avez rattrapé votre retard. Vous vous êtes imposé comme leader en Coupe Davis, sans pour autant renier vos amitiés, notamment avec Gaël Monfils. Est-ce que cela a été si évident que cela ?Être leader, c’est une éducation. Quand j’étais jeune, j’étais leader, mais j’avais déjà ce côté apaisé. Les autres savaient qu’ils pouvaient compter sur moi. J’étais calme, mais j’avais une force intérieure, sans vouloir écraser les autres. Au contraire, je voulais rassembler, et c’est pour cela que je suis respecté. Tout le monde disait : « Jo, ça ne sert à rien d’être contre lui, car il n’est pas contre toi. » En fait, je n’avais pas d’ennemis.D’où vous vient cet état d’esprit positif ?Je suis juste heureux. Et quelqu’un d’heureux dégage de l’énergie. J’ai vécu une enfance de rêve. Jusqu’à 19 ans – l’âge de mes premières blessures au dos, dont j’aurais pu ne jamais me remettre -, je n’ai vécu aucun chagrin insurmontable. Ma vie, c’était un vrai conte de fées. Pas de conflits familiaux, pas de blessures, ni maladies, ni deuils. Les moments les plus tristes, c’était quand je quittais mes parents, mais c’était pour aller vivre quelque chose d’extraordinaire ! Ce que j’allais trouver, ce n’était pas moins bien que ce que j’abandonnais.Au niveau scolaire, en revanche, ce n’était pas aussi brillant qu’en tennis. Il paraît qu’au CNE, vous passiez sous le bureau d’accueil pour éviter qu’on vous envoie en cours. Vrai ?Oui, c’est vrai. J’ai été assez brillant en cours tant que j’étais chez mes parents, parce qu’ils étaient profs. Ils n’exigeaient jamais rien, mais c’était évident que je devais bien travailler. Dès que j’ai quitté la maison, j’ai arrêté de travailler en cours. J’y allais, j’écoutais, ça ne m’intéressait pas. Pendant certains cours, je me demandais : « Mais en quoi ça va me servir à trouver un boulot ? » J’avais l’impression de perdre mon temps. Je pensais : « Cela ne me concerne pas. La seule chose qui m’intéresse, c’est ce qui va se passer là, maintenant, demain… » Quand tu es jeune, tu ne cherches pas forcément à comprendre le monde qui t’entoure.Que diriez-vous à un jeune homme qui aujourd’hui rêverait de faire votre carrière ?De prendre du plaisir dans ce qu’il fait. Aimer ce que je fais m’a toujours apporté beaucoup d’énergie. L’énergie, elle vient du bonheur et elle vient du combat. Et moi, j’étais heureux de combattre, et je le suis toujours.»

 

Le geste précis

 

* Je ne retrouve pas les ref. de l’auteur, mais je l’invite à se faire connaitre. Pour la date de publication c’est autour du 25 Avril 2014

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